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labo corps_mental "la part de la douleur" _ cenart-mexico ' juillet 09
anika mignotte (conception réalisation)
stéphane sikora (soft multi-agents)
michel redolfi (composition musicale)

Mon souvenir du labo de mexico commence par une terreur. Coincé au fond de cette salle immense et glaciale aux murs noirs grossièrement crépis, le cube de contre-plaqué délimitant l'espace personnel réservé au visiteur semble perdu, et de l'intérieur, l'atmosphère y est lugubre, presque mortifiante : la couche devient fantôme de sarcophage. Première frayeur donc à la limite des frontières à ne pas franchir. Mon angoisse est palpable. Injecter la vie. Le rouge pur, intense, vivace ; rouge vif, liquide, immersif ; le rouge des globules, ou celui du dedans placentaire de la VIE première, primitive, naissante, jaillissante, éclaboussante de cris, de joie, de soi. Les projecteurs sont arrivés .. . pour l'ambiance « on » ; l'intimité isolée de la relation hypnotique aux images et aux sons pour l'extinction « off »—extinction à l'extérieur ; éveil à l'intérieur.
Ma présence auprès du public est totale, disciplinée, respectueuse, encourageante, chaleureuse, rassurante, dans l'invite et la tenue constantes de la conscience de cette mise en situation si particulière et fugace : le temps des 20' de la composition musicale ( —de michel redolfi, puissante et merveilleuse ), le temps du désir de la conversation à suivre : celui permis par la plongée première au cœur de soi si la porte est ouverte, au cœur de rien si le blindage est bouclé ; celui de la rencontre au creux des dévoilements pudiques ou joyeux, celui des questionnements .. . réciproques ; celui des rapprochements et des émotions : l'émotion de la résonance humaine, de l'approche des formes "alter" en mouvement au fond de soi. Profondeur directe. Confidences ; envolées co-éclairées ; voyages : ce qui nous fait « tenir » à la vie.
Voilà ce qui me lie si fort au Labo : la phénoménologie des vérités personnelles. La Vérité singulière et collective du sentiment d'être à la vie.
La réceptivité générale de la proposition « synesthésique » du Labo couplant générativité visuelle et fil musical est globalement « bonne »—facilitant une entrée rapide, voire immédiate, dans la proposition du dispositif au rêve éveillé. Cette synchronisation de l'image et du son est aussi paradoxale, car les alternances de mondes se proposent de façon aléatoire pour les images, écrites pour la musique, et se télescopent au gré de bonheurs associatifs improbables. Ce qui ressort néanmoins concernant la dichotomie « continuum physiologique » / « incrustations vidéo » est le caractère relaxant des images abstraites—berçantes tels des flux ou des vagues, en opposition / complémentarité au caractère mobilisant des éléments figuratifs contenus dans les vidéos—dont les traits inquiétants ou perturbants, souvent liés à la peine, activent la curiosité et l'attention, sans peur, ni souffrance excessives, mais sans possibilité de détachement.

Pour ce qui est de l'expérience des visiteurs dans le Labo : nous trouvons très prévisiblement toutes sortes de réactivités et d'implications en termes de qualités et d'intensité d'états subjectifs ( de « qualia » ).

Le Labo s'est trouvé en échec avec les publics « trop calés » et donc enferrés dans une attente externe à eux-mêmes et une analyse distanciée. Ces publics, qui adoptaient les attitudes de connaissances professionnelles de leur champ, plongeaient dans le désarroi de la non-pertinence de leurs tests de rationalisation du dispositif. Mis à part la respiration, les images ne sont en effet pas directement contrôlables à la seconde près. A cet endroit, 2 remarques : avez-vous naturellement la main sur votre rythme cardiaque ? votre dilatation sanguine périphérique, votre température ou votre sudation cutanées ? non ; de plus, il vous faudrait alors connaître le langage spécifique des agents graphiques du continuum dont la variabilité—en termes de taille, nombre, couleur et mouvement—épouse réellement chaque micro-évolution : celle de la sudation par exemple, captée par le senseur de "galvanic skin résistance" et visuellement reliée à des sortes de cristaux—véritablement jaillissants lors des pics. Il y a donc nécessité d'apprentissage de la lecture. Néanmoins, les mouvements visuels restitués dans le continuum traduisent surtout l'état-étalon de la physiologie d'arrière plan, ainsi que l'avancée des lames de fond, lentes, conscientes ou inconscientes, au fil de l'expérience ( avec plus ou moins de « pics » selon les natures ) : tout pour échapper à la vigilance vindicative et autoritaire d'esprits verrouillés dans le contrôle ou le concept non-incarné ( objets 1ers de ma contre-démarche ). Ceux qui ont donc pensé « machine » se sont retrouvés pauvres et bêtes en dialogue inexistant avec une « machine ». Et ceci, malgré ma longue et précise introduction, préalable au lâcher dans l'exercice. L'objectif de ce moment est de se laisser-aller et de voir-surgir ; de se trouver dans l'agréable ou le fulgurant de la création de soi / par soi : de réaliser cet événement en soi et d'en être empli et affecté ; pas de spéculer en compréhensions vaines à propos d'un système extérieur à soi.
Autre objet de volonté de compréhension des visiteurs ( très légitime et empathique celle-là ) : le pourquoi des états, parfois dramatiques, des silhouettes plus ou moins définissables incrustées par intermittence dans le continuum. Mais trop de pourquoi(s) et de prises de perspective stériles, dans la mesure où le mystère n'est pas présenté pour être « compris », mais pour à son tour être déclenché « à l'endroit où il se trouve » chez le visiteur.

Et puis, il y a eu les publics sympathiques et ouverts, dans l'aveu franc et honnête d'une non-résonance émotionnelle, mentale, … totale. Un vide. Une non-perception, non-rencontre, un non-rendez-vous : une proposition du Labo trop éloignée des habitudes de leur être éduqué, social, mais aussi personnel et intime, philosophique et éthique. Face à ce vide, il y a ceux qui demeuraient tout de même accrochés au mystère ( toujours ) de l'altérité lointaine / non-empathisée ; néanmoins attentifs aux mondes de l'autre ( les miens ) ; médusés, peut-être, mais froids, sans doute ; neutres ; entraînés à l'observation et à l'impartialité.
A la marge, certains pour lesquels aucune formation mentale ne surgissaient ont tout de même sombrés dans la franche déception ou même le sommeil—réactivités pouvant révéler des modes légitimes de protection du soi. Car le Labo expose le soi ( pour le dissoudre ). Toutes les manifestations—de désintérêt, de dégoût ou de lutte ( dans les affaissements et les sursauts ) étaient les bienvenues. J'aime connaître les gens.
 
 
   
 

Passons à notre lumière.
Quelle expérience physique et sensorielle, tout d'abord ? Ici, comme plus loin, ne seront mentionnés que les cas les plus marquants, les plus forts. Certains visiteurs ont relaté une véritable « altération des sens ». Des remarques telles que celles-ci m'ont été faites : « je ne sentais plus mon corps ; les parties gauche et droite étaient inversées ; ma main rentrait littéralement dans mon ventre ». Sentiment de transe, de paralysie ; d'augmentation de la chaleur interne ( « dans les parties basses du corps » )—liée à la décontraction et à l'activation sanguine ; couplée parfois à celle de la micro-sudation traduisant un état d'excitabilité avivé, sensibilisé ( à l'extrême ). Expérience « zéro gravité »—moment que quelques chanceux décrivent comme un état où « le corps grandit sans plus de contours ». Sensations solaire venant du plexus. Viscéralité animée, bouleversée. Voici pour l'expérience corporelle de certains .. . en alpha—stade sophro-liminal du rêve éveillé. Celle des plus disponibles. Le Labo se révèle comme un test un peu magique d'excellence scénique potentielle .)

     
 
   
  Quelle expérience mentale ? ... « Deep, deep, … »
De manière chorale, le point d'entrée visuel dans la proposition du Labo est la relation à l'infiniment grand (astronomique) ou l'infiniment petit (organique). Ces deux extrêmes pascaliens sont en effet l'inspiration secrète de la fabrication des images du continuum lié à la physiologie—multi-agents corrélés tels des astres ou des cellules en pulsations et déplacements constants. Cet environnement propice à la relaxation par le balancement régulier et au laisser-aller par l'imaginaire libéré, précipite chacun au cœur d'une intériorité quasi-embryonnaire, où gestation et synchronisation sont le germe des événements mentaux appelés. Synchronisation image et son. Synchronisation images et pulsations physiques ( cardiaques et respiratoires ).
Il est étrange pour moi de noter la relation des visiteurs aux figures incrustées dans le continuum de base. Identifiées soit comme « des masques », soit comme « des visages d'homme », ou encore comme « un couple jouant ensemble », ou « une corporéité androgyne », … Le visiteur semble les accepter sans trop de peur, ni de rétraction à l'altérité. La question serait plutôt celle du « mélange soi-autrui » : de quelle substance l'autre peut-il bien être fait ?
Vient aussi le positionnement du soi. Un film personnel est susceptible alors de se déclencher en superposition du « film » visualisé : une jeune femme enceinte, accompagnée de son mari, a même osé timidement m'avouer ses pensées en résonance avec l'amour et la sensation, le souci du bébé et de l'accouchement ( le fait même de s'y préparer ! ). Dans ce cas, le soi reste soi, en miroir avec une altérité concordante face à soi. Pour d'autres, le mélange est allé plus loin : le Labo les a conduit au dédoublement du soi—à savoir au fait de devenir l'image vue—telle qu'eux-mêmes. Le miroir devenu transparence indistincte ; sentiment de soi altéré dans le sentiment de l'autre ( l'être à l'image ) ; entraînement de soi indifférencié dans le mouvement simulé de l'autre. Un acteur-danseur s'est même exclamé en fin de séance : « c'est moi ! c'est mon monde intérieur ! ». Ne pouvant bouger les membres, j'ai en effet pu l'observer tortiller tant et plus cils et langue tout au long du parcours.
Au delà du simple effet « miroir de soi », il y a, dixit, la « rencontre avec le moi interne » : un visiteur me confiait être entré en conscience avec ce qui le mettait en tension dans la vie ; un autre me parlait à la fois « d'entrée en soi » pour mieux se connaître, puis de « sortie de soi » pour exprimer.
Un souci rencontré fut aussi celui de comment faire le récit de « cela » à l'être aimé. Il y a bien systématiquement intimité assumée de soi à soi et de soi à l'autre ( en soi ).
  La proposition du Labo est clairement décrite par les visiteurs comme l'espace de l'entre-deux : celui de deux niveaux de réalité ayant une origine commune—le monde réel et le monde subjectif (boosté), tel un rideau ou un filtre d'irréalité venant recouvrir le premier. Leur était ainsi rendu clair et visible le fait qu'une partie de l'esprit en proie aux flux mentaux permanents, peut tout à fait se distancier en « regardant » simplement et tranquillement ce phénomène opérer au fil des formations.
La métaphore du lot d'images proposées par le Labo est allée encore plus loin dans l'inspiration de certains. Tel un miroir de la VIE à nouveau, sont apparus les cycles de création et de destruction, de naissance et de mort ( Nietzsche ), l'opposition entre l'occident et les primitifs, la raison et les passions, .. . Un va-et-vient constant, immanent, donnant toute son intensité à la perception .. . du samsara aussi finalement .)
Autres remarques : le sentiment de « bouts pas joints de manière habituelle »—puisque pas de linéarité dans l'écriture du système, et par conséquent une bascule possible dans le psychédélisme ; le sentiment de l'inter-connexion de tout dans tout, l'impression de rhizome, de l'être synchronisé de soi au sein d'un réseau dont on est l'instrument.
Enfin, la beauté a aussi été évoquée : abstraite, esthétique, concernant les mondes fluides dit aussi « vitraux » ; humaine à propos de la sensualité profonde des corps en mouvement ; et plus généralement beauté des premiers moments cellulaires de la vie—phylogénétiques ( apparition de la vie sur terre ) ou ontogénétiques ( celle d'un être vivant ).
En conclusion, il est évident que certains percevaient très bien l'objectif du Labo, tout en sachant en profiter et le formuler : à savoir de « desserrer l'espace mental par l'espace physiologique et émotionnel ». Toute une pratique .) .. . d'acteur.

akmi ( nov ' 10 )
     
      carlos santiago alejandro roman jose luis ledezma (josefo)